Episode n:°1
Aucun squatt d'activité, depuis
de nombreuses années n'avait vu le jour à Lille avant 1995. La ville comptait
bien quelques maisons occupées illégalement, des appartements ou des courées
squattés mais rien de démonstratif ou politiquement revendiqué.
Deux groupes politiques locaux parlaient à l'époque de ce thème :
Humeurs noires, le groupe lillois de la fédération anarchiste
et Aktion, groupe anarchiste autonome.
Les plus anciens sur la métropole furent également les plus
timides sur le thème. Le tract élaboré en 1994 par le groupe Humeurs noires
ainsi que la campagne d'affichage orchestrée de concert avec la C.N.T.
sur le thème « gérons nous mêmes la ville » illustre cette timidité. Nous
mettrons sur le compte de la réserve et d'un souci rhétorique légitime
cette approche mesurée que la vindicte extravagante d'un de leur membre
-Eric Dussart pour ne pas le nommer (C.N.T), viendra totalement ridiculiser
dès l'ouverture du Clos Ferrer .
Le groupe Aktion semblait plus pugnace
dans sa volonté de rupture face au monde existant.
Son tract intitulé
« Les maisons à ceux et celles qui les habitent » diffusé quelques mois
avant la définitive disparition du groupe appelait clairement à la réquisition
de bâtiments vides et affirmait son soutien indéfectible aux squatteurs
et squatteuses qui sopposaient de par leurs pratiques de vie au capitalisme
et à l'Etat.
Nul doute que ce groupe aura oeuvré à la naissance du projet
d'ouverture d'un squatt en exposant aux militantEs lilloisEs la nécessité
de créer des espaces de vies autonomes et l'urgence de briser les barriéres
de la légalité dans la lutte. Le collectif antifasciste BASTA, impulsé
par les membres d'Aktion et qui naquit en 1994 de la volonté de quelques
individuEs de s'organiser de maniére autonome hors des cadres sclérosés
du militantisme de l'époque, ne parlera à aucun moment des squatteurs/euses
dans ses tracts mais sera à la base du mouvement de par l'investissement
d'un grand nombre de ses membres dans l'ouverture du Clos Ferrer.
Pour finir, d'autres personnes, à titre individuel, tentaient à cette époque
de promouvoir les occupations sauvages de lieux abandonnés à travers des
tables de presse (entre autres celle tenue par un exilébruxellois du Guernica),
des fanzines (Réagir pour n'en citer qu'un) ou l'organisation de concert
punk hardcore issus de la mouvance squatt qui jouaient réguliérement au
Thémis, rue de la Monnaie (on se souvient encore d'un Charlie Harper exhibant
modestement un vieux t.shirt squatt the world).
C'est dailleurs autour de préoccupations musicales que naquit initialement l'idée d'ouvrir quelque
espace autonome susceptible d'accueillir des groupes musicaux étrangers.
Le collectif Basta investi dans la lutte antifasciste radicale consacra
nombre de ses réunions, qui se déroulaient au Centre Culturel Libertaire
Benoît Broutchoux, à discuter de la nécessité d'occuper illégalement des
lieux de maniére ponctuelle afin dune part dy organiser des manifestations
culturelles ou politiques en totale autonomie (car jusqu'alors, les lilloisEs
étaient tenuEs d'organiser concerts et activités dans des bars ou dans
certaines salles municipales louées ou négociées comme pour le festival
« Art et Anarchie » organisé par Humeurs noires) et d'autre part afin de
développer sur Lille une conscience politique forte autour d'enjeux concrets
comme la ré-appropriation de l'espace urbain et la mise en pratique de
certains idéaux.
Cest ainsi que se constitua
un noyau dune dizaine de personnes autour d'un projet d'ouverture protéiforme
mais concret.
L'envie de partager une aventure qui promettait dêtre excitante
galvanisa rapidement le groupe et motiva de fréquentes rencontres durant
lété 95.
La premiére eut lieu dans le désormais défunt parc des Dondaines
à Fives où chacun chacune exposa ses motivations quant à une éventuelle
ouverture. Autour de jus de fruits et de chips d'aucuns avouérent n'avoir
qu'une idée totalement imprécise de ce qu'ils/elles voulaient réaliser
tandis que d'autres devisaient de leur désir de vivre en communauté, parlaient
de leur expérience autonome parisienne ou exprimaient l'envie trés basique
d'agiter la vie lilloise bien trop calme au goût de toustes.
Les premiers
quartiers visés furent ceux de Fives et de Mons car certainEs vivaient
dans ce secteurs ou y avaient résidé ce qui facilitait le repèrage des
bâtiments exploitables. Périphériques au centre de Lille ces quartiers
représentaient également les zones dites populaires de la Métropole dans
lesquelles nous désirions développer nos projets.
De très nombreuses maisons
y sont aujourdhui encore abandonnées ainsi que des courées et quelques
grandes bâtisses (manufacture, entrepôts ou usines) qui témoignent toutes
du passé ouvrier de la région. La récente construction du centre daffaires
Euralille (avec sa Gare Lille Europe et la nouvelle planification du périphérique
qui en découle) provoqua dés 1994 une restructuration du quartier de Fives
et l'apparition d'une spéculation âpre et insidieuse sur les bâtiments
rachetés par les promoteurs ou laissés à l'abandon.
Un rapide tour de vélo permit de repérer certains lieux qui
savérèrent quelques jours plus
tard être totalement vides et commença alors le moment le plus grisant
de lopération, les visites joyeuses et nocturnes des vestiges urbains.
Les portes murées, les entrées barricadées ou les murs délabrés renferment
milles merveilles que seul un peu daudace permet de découvrir, et de
l'audace, nous en avions beaucoup cet été-là. Surmontant le vertige, la
peur du noir ou la crainte des rats le petit groupe s'insinua dans de
nombreux bâtiments fivois pour y faire de surprenantes rencontres -du
toxicomane en manque que des lampes assassines débusquent au squatteur
discret dont nous présumions découvrir le sommaire mobilier-.
De ces ballades nocturnes subsistent quelques frayeurs bien senties,
une trottinette rouge
et un vieux tas de fanzines punks dont les premiers Tuez les tous. Néanmoins,
peu d'endroit visité correspondait au projet de fête sauvage visé et nos
recherches se fixérent au début du mois d'Août sur un énorme bâtiment
situé rue Lannoy à Fives : les locaux abandonnés de Liberté hebdo. Faire
la nique aux proprios dans un espace repris aux communistes emballaient
l'assemblée de promeneurEUSES et ce fût sur cette joyeuse perspective
qu'une partie d'entre eux/elles partirent en Ariège pour le camping antipatriarcal
tandis que les autres continuaient sans conviction leurs visites de minuit,
juste pour le plaisir.
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